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Juliette Greco
© ISOPIX

La chanteuse Juliette Gréco est décédée

L’icône de la chanson française nous a quittés à l’âge de 93 ans.

Chanteuse et actrice, Juliette Gréco est décédée le 23 septembre, à Ramatuelle (Var), à 93 ans.

Elle fut la muse du Saint-Germain-des-Près de l’après-guerre, et l’interprète inoubliable de Brel, Gainsbourg, Vian, Roda-Gil, Miossec ou Biolay...

Vous vous souvenez certainement de sa voix, de son élégence et de ses mains qui virvoltaient sur scène.

De la résistance à la scène

Elle est petit rat à l’Opéra de Paris quand éclate la seconde guerre mondiale. La famille Gréco se réfugie en Dordogne, où la mère entre en résistance. Elle est arrêtée en 1943, ses deux filles s’enfuient avant d’être reprises par la police française à Paris. La mère et Charlotte sont déportées. Juliette est emmenée à la prison de Fresnes où elle passe trois semaines avant d’être relâchée, sauvée par son jeune âge (16 ans).

Juliette veut devenir actrice. Elle joue pour la première fois au Théâtre français, un rôle de figuration dans Le Soulier de satin, de Paul Claudel. Sans le sou, elle commence son exploration de la vie de bohème du quartier Rive gauche de Saint-Germain-des-Prés, entretient un lien avec les jeunesses communistes. 

Les grandes rencontres

Juliette entreprend de refaire son éducation elle-même. C’est au bar du Montana qu’elle croise pour la première fois Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, à la Rhumerie martiniquaise qu’elle discute avec Albert Camus, et au bar du Pont-Royal, avec Maurice Merleau-Ponty. Elle rencontre le metteur en scène Michel de Ré, qui lui offre un rôle dans la pièce de Roger VitracVictor ou les enfants au pouvoir (âgée de 19 ans, elle tient le rôle d’une mère de 30 ans).

Une égérie

C’est une photographie publiée le 3 mai 1947 en une de l’hebdomadaire Samedi-Soir qui la rend célèbre : on y voit Juliette discutant avec Roger Vadim à l’entrée du cabaret. L’article explique comment vivent les "troglodytes" de Saint-Germain. L’idée de la rébellion et de la liberté des mœurs selon Gréco est lancée.

Juliette Gréco croise tant de personnages mythiques qu’il est difficile d’en faire le tri : Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre, Françoise Sagan ; Jean-Pierre Wimille, pilote de course, premier amour fou de Juliette, mort sur le circuit de Palermo en Argentine en 1949 ; Miles Davis, rencontré à Paris – il a 23 ans, elle en a 22, ils s’aimeront longtemps ; Philippe Lemaire, le bel acteur, mari de Juliette pour un temps et père de son unique fille, Laurence-Marie, née en mars 1954 ; Darryl Zanuck, le producteur de cinéma qui voulait la séduire ; Irmeli Jung, photographe d’origine finnoise, la fidèle, l’admiratrice passionnée ; Michel Piccoli, le deuxième mari ; le compositeur et pianiste Gérard Jouannest, qui, dès la fin de la carrière de Jacques Brel, dont il était l’accompagnateur, et le compositeur, travaille avec elle, puis l’épouse.

Juliette Gréco image

Première scène...

Début des années 50, après un été à peaufiner son image sur la Côte d’Azur, elle est invitée à chanter à la Rose rouge, cabaret célèbre tenu par Nico Papatakis. Son succès l’amène au Brésil, invitée par l’Office culturel français. Gréco se bâtit une stature d’artiste culte. En 1951, elle enregistre son premier album, où figure Je suis comme je suis. En 1954, elle est à l’Olympia.

... premier cinéma

Tandis qu’elle chante, Juliette Gréco fait aussi du cinéma. On la voit en 1949 dans Orphéede Jean Cocteau, dans Au royaume des cieux, de Julien Duvivier, dans Sans laisser d’adresse, de Jean-Paul Le Chanois. Mais elle obtient son premier vrai rôle dans un film de Jean-Pierre Melville, Quand tu liras cette lettre, en 1954, aux côtés de l’acteur Philippe Lemaire.De nombreux rôles se suivent jusqu'à celui de schizophrène mystérieuse dans Belphégor, l’un des feuilletons les plus célèbres de la télévision, diffusé à partir de 1965.

Gréco film

La liberté du féminin

En 1968, alors que la France veut faire sa révolution, elle continue la sienne en chantant Déshabillez-moiElle bâtit son répertoire sur des chansons qui deviendront des classiques, signés d’auteurs-compositeurs comme Léo Ferré (Jolie Môme) ou Jacques Brel (J’arrive), et de poètes, Aragon, Desnos, Allais, Seghers, Eluard : théâtrale et somptueusement sobre, jouant des mains et du rideau rouge, silhouette pâle, frondeuse et têtue, affirmant la liberté du féminin.

Avec les jeunes

En 1998, Jean-Claude Carrière lui construit Un jour d’été et quelques nuits, qui contient Une Nuit, un train, en référence au fascisme. Une chanson devenue pilier de son récital, avec Le Temps des Cerises et J’arrive.

En 2003, elle est servie par la jeune génération (Miossec, Benjamin Biolay) et des antimodèles (Gérard Manset) pour un album d’une très grande qualité, Aimez-vous les uns les autres… ou bien disparaissez. En 2009, elle publie Je me souviens de tout, entourée d’une poignée de jeunes talents (Orly Chap, Olivia Ruiz, Adrienne Pauly, Miossec et Abd al Malik). 

Jusqu'au bout

En 2013, Juliette Gréco consacre un album à son ami Jacques Brel (1929-1978), douze titres drôlement arrangés par le pianiste Bruno Fontaine avec Gérard Jouannest. Le 7 février 2016, elle fêtait triomphalement son 89e anniversaire au Théâtre de la Ville à Paris, après un concert d’exception donné au Musée du Louvre devant la Victoire de Samothrace.