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Serge Gainsbourg

2 mars 1991 : il y a trente ans disparaissait Serge Gainsbourg

C'est seul à son domicile, rue de Verneuil, que Serge Gainsbourg, une des stars les plus marquantes de l'histoire de la chanson aura vécu ses dernières heures que Brice Depasse vous raconte

Premier mars 1991, Serge Gainsbourg doit sortir ce soir au restaurant avec Bambou, sa compagne, l’officielle depuis le départ de Jane Birkin, la mère de son fils Lulu mais avec qui il n’a jamais vécu, et puis aussi, sa fille Charlotte. Deux des femmes de sa vie pour une dernière soirée au climat pesant ; Serge n’a jamais été un grand mangeur mais là, il est vraiment au bout du rouleau. Tout le monde est mal malgré les paroles rassurantes qu’il susurre. Ca va aller, dit-il à Bambou, qui insiste pour passer la nuit avec lui. Serge a en effet donné son week-end à Fulbert, son ange gardien, avec la garantie qu’il l'appellerait plusieurs fois par jour pour s’assurer que tout va bien.

Mais bien sûr que tout va bien, s’énerve Serge le lendemain matin au téléphone ; enfin il s’énerve gentiment, il l’adore son Fulbert, merveilleux de sollicitude et excellent cuisinier, au demeurant. Serge raccroche, marque un temps puis reprend le cornet pour donner le plus improbable des coups de fil, à sa première femme Lise Levistsky. Il parle un bon moment avec celle qui n’aura connu que ses années de peintre incompris, de prof de dessin et de pianiste de bar ; ils ont divorcé en 1957, une éternité et pourtant, le dernier appel sera pour elle, contact rassurant comme en 1968, après sa rupture avec Brigitte Bardot.

Serge Gainsbourg

Serge raccroche puis traverse péniblement son salon pour la toute dernière fois afin de rejoindre sa chambre. Il a toujours sur l’estomac le verre de Porto millésimé qu’il a pris la veille au restaurant et qu’il n’aurait pas dû ; Serge s’assied sur son lit pour terminer cette nuit commencée avec les somnifères qui l’accompagnent encore. Il lui faut être en forme tout-à-l’heure pour transcrire le texte des chansons de son prochain CD qu’il a enregistré sur son dictaphone. Mais aura-t-il seulement la force de prendre un avion jusqu’en Amérique avec son directeur artistique pour cet album de blues auquel il s’accroche. Encore quelques mois et il l’aura son nouveau disque qu’il compte intituler Moi m’aime bwana ; il va offrir quelque chose de différent avec cette voix grave façonnée dans les fonds de bouteille et de cendriers comme les vieux bluesmen noirs. Comme lui, ils n’auront pas fait long feu mais laisseront une trace chargée d’émotions dans la mémoire de millions de gens qu’ils n’ont même pas connus. Quel étrange destin que de consacrer toute l’énergie de son existence à créer quelque chose qui n’apporte pas le véritable bonheur : les joies éphémères, les morceaux de fierté ne remplacent pas l’amour durable et apaisant.

Vers 23 heures 30, des pompiers défoncent la porte d’entrée de son domicile mais Serge n’entend rien, il n’est plus là pour s’horrifier, se fâcher sur les importuns qui déplacent des objets savamment agencés dans son musée particulier comme il l’avait fait quelques années plus tôt sur Coluche et ses amis quand ils avaient dégagé la table de salle à manger pour dresser la table.

Serge n’est plus là quand on le transporte vers l’ambulance dont les lumières éclairent par intermittence le visage des badauds et des mères de ses deux enfants qui vont y passer la nuit. Dans quelques jours sortira un nouveau single, Requiem pour un con, un remix dont il était très content, un tube en puissance qui, on aimerait le croire, montre à quel point les grands artistes savent soigner leur sortie de scène.

Serge Gainsbourg