La Story Nostalgie

Robert Doisneau et ses instants volés (Episode 3)

3 novembre 2025 | 6 min 8 sec

Robert Doisneau n'est pas que l'homme du Baiser de l'hôtel de ville, c'est 450.000 photos prises au cours de décennies foisonnantes. En marge de l'exposition Instants Volés, Brice Depasse vous fait revivre les moments où furent captés ces clichés de stars et d'anonymes, aujourd'hui légendaires.

On a tous en nous quelque chose de Robert Doisneau. De ce baiser de l’hôtel de ville qu’une copine avait en poster dans sa chambre ou un pote dans son kot, une affiche sur un mur, une couverture de farde de cours. Cette image a fait plus que le tour du monde, c’est un vrai tube, celui qui a fait connaître le nom d’un artiste dont la destinée n’est justement pas d’être connu de tous.

Tout a commencé au printemps 1950 quand le magazine américain Life demande à Doisneau un reportage photo sur l’amour à la parisienne. Car c’est bien connu, les Américains le savent, que les Français ont une façon de vivre qu’ils n’imaginent pas, qu’on ne tolérerait pas aux Etats-Unis. Les hommes et les femmes n’hésitent pas à s’embrasser dans la rue, mieux, ou pire, personne n’y prête attention. Et donc dans ce numéro de Life qui, croyez-moi, va faire grand bruit et circuler partout suscitant fantasmes et envie de voir Paris, bref qui va créer un véritable mythe, on voit donc en grand sur la page de gauche, un homme et une femme s’embrasser sur un escalier, au milieu de la foule.

Ah non, ce n’est pas le fameux baiser de l'hôtel de ville. Lui, il partage la page suivante avec d’autres clichés dont celui des amants qui se bécottent sur un banc public sous le regard d’une vieille dame en noir, bien en évidence. Non, coincé entre deux photos en haut de page, et recadré, ne permettant pas de reconnaître l’hôtel de ville, ce cliché ne ressort pas du lot de toutes ces images réalisées par Doisneau et qui ont fait rêver ou choqué plus d’un Américain.

Et puis on oublie tout ça dans les années 60, 70, jusqu’à ce qu’un éditeur, en 1985, demande à Robert Doisneau, les droits pour en faire un poster. Doisneau signe mais quand même, il doute que ça marche. Des milliers et des milliers de cartes postales, affiches et une foule de produits dérivés plus tard, sa fortune faite et tombée du ciel sans prévenir, Doisneau profite de cette notoriété mondiale inattendue et sur le tard, quand un couple lui intente un procès, lui reprochant d’avoir utilisé leur image. Mais devant le tribunal, c’est un Robert Doisneau bien embêté qui vient leur dire qu’ils se trompent, ce n’est pas eux qu’il a photographié 40 ans plus tôtmais deux comédiens du cours Simon auxquels il avait proposé de poser pour 500 francs de l’époque. Françoise, la modèle, vient d’ailleurs confirmer à la barre, tenant dans les mains un tirage original signé par l’artiste.

Le procès remporté par Doisneau casse un peu le mythe. Mais il est bien la preuve que l’artiste avait raison de recourir à deux modèles pour illustrer le Paris romantique cher aux Américains. Il n’avait pas le droit d’exploiter l’image de deux personnes à leur insu. Et demander le consentement des gens dans la rue aurait autant brisé la spontanéité. Le fait que vous n’ayez probablement pas entendu parler de cette affaire judiciaire illustre parfaitement la totale réussite de cette image, le mouvement, l’attitude des passants impassibles qui, eux, n’étaient pas dans le coup. Dernière preuve, s’il en faut : en novembre 2015, on a vu s’afficher Place de la République en réponse aux attentats qui venaient de blesser Paris, la photo du baiser de l’hôtel de ville avec cette légende : Même pas mal !

La Story Nostalgie

Depuis plus de 20 ans, Brice Depasse vous emmène dans les coulisses des légendes du rock, de la pop, et des années 70 et 80 dans. Il vous fait voyager à travers les époques, en vous dévoilant les anecdotes les plus croustillantes et les histoires fascinantes des plus artistes de notre temps.

La Story Nostalgie
Robert Doisneau et ses instants volés (Episode 3)
00:00
00:00