La Story Nostalgie

Sur scène avec Joe Cocker

25 juin 2025 | 3 min 39 sec

Quand Joe Cocker monte sur la scène de Woodstock en ouverture de journée, qui pour deviner qu'il va marquer l'histoire et bâtir sa légende ? Inconnu du public américain en cet été 1969, il s'apprête brûler les micros et les objectifs avant le déchaînement d'un nouvel orage.

Il n’y a rien à faire, l’émotion suscitée par un disque est décuplée quand l’artiste est là devant vous à jouer son répertoire. Bien sûr, tout dépend du talent d’interprète, du niveau des musiciens et de leur authenticité. Et puis, il y a les phénomènes, ceux qui vivent leur musique comme personne, au point qu’on en reste bouche bée devant le spectacle prodigieux de leur performance, voire nous font carrément perdre les pédales. Alors, je vous emmène avec moi sur scène, au plus près de ces artistes d’exception qui ont, grâce à leur charisme et leur génie, fait du concert pop, un art.

Et nous voilà à Woodstock, en plein été 1969. Trois jours de musique, de paix et d’amour libre ont promis les organisateurs de ce festival sur les affiches qui ont recouvert les murs de New York. Ils n’auraient peut-être pas dû parce que tout le monde les a crus, on dirait. Dès le premier jour, plus moyen d’avancer sur les routes. Même le matériel et les artistes sont coincés dans des bouchons invraisemblables, causant des retards considérables et des ballets d'hélicoptères improvisés. Et puis, il a beau faire chaud dans la région à ce moment de l’année, des draches orageuses transforment la plaine en bain de boue. Bref, des corps allongés sur des bâches, des tentes enroulées comme des chips, et cette odeur… mélange de terre mouillée, de patchouli et de liberté.

Et nous voici au début du troisième jour. Enfin, il est quatorze heures car les têtes d’affiches terminent vers 8 - 10 heures du matin, quand un type que personne ne connaît grimpe sur scène, l’air plus déglingué qu’un vieux tracteur. Dans le public, on croit que c’est un gars sorti des premiers rangs pour faire patienter le public. Mais non, il vient de Sheffield, en Angleterre, et il chante. L’accent aussi épais que sa tignasse. Le regard flou, les bras qui dansent tout seuls, comme désarticulés face à cette marée humaine de 400 000 personnes. Le ciel, au-dessus, s’assombrit comme dans un film catastrophe mais lui, il s’en fout. Il s’avance une dernière fois et lance son arme secrète : une reprise des Beatles qu’il transfigure en version pesante, viscérale. Une messe sauvage. Joe Cocker ne chante pas, il grimace, il se tord comme s’il expulsait un démon à chaque note. Le public est hypnotisé. Un silence étrange est tombé sur la foule. Même les plus stones lèvent les yeux, les plus boueux s’arrêtent de fumer. Parce que ce qu’ils voient là, c’est pas juste un chanteur. C’est une âme en train de brûler, là, sous leurs yeux.

Quand il crie le dernier "my friends", le ciel explose. L’orage se met à gronder, comme si la nature répondait à l’appel. Une douche céleste tombe sur la plaine, semant la confusion. Mais il est trop tard. Le moment est gravé. Joe Cocker vient de faire basculer Woodstock dans la légende car tout a été filmé et enregistré. Et le plus dingue ? Après le concert, il sort de scène, lessivé, comme vidé. On lui tend une serviette, il bafouille un merci. Il a mis le feu mais il ne le sait pas encore.

La Story Nostalgie

Depuis plus de 20 ans, Brice Depasse vous emmène dans les coulisses des légendes du rock, de la pop, et des années 70 et 80 dans. Il vous fait voyager à travers les époques, en vous dévoilant les anecdotes les plus croustillantes et les histoires fascinantes des plus artistes de notre temps.

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